13 juil. 2013

UNE CONTRE-HISTOIRE DE L'INTERNET

J'avais envie de revenir sur ce documentaire incontournable pour tous les internautes qui s'intéressent un tant soit peu à l'outil qu'ils utilisent au quotidien. Il y est question d'éthique, de philosophie, de liberté d'expression,  de multimédia, de base de données mondiale, de libre accès à la connaissance, d'ouverture sur la diversité culturelle de l'humanité, de LSD éventuellement (!?!), toutes ces conditions qui permettent au net d'être ce qu'il est encore aujourd'hui et qui sont au rendez-vous dans ce superbe webdocumentaire de Julien Goetz et Jean-Marc Manach, produit par ARTE et Premières Lignes Télévision. Mais les menaces d'un internet "régulé" pèsent régulièrement sur nos têtes (attac, loppsi, hadopi, prism, Infrastructure de mutualisation et j'en passe...). C'est sur tous ces points précis qu'Une Contre-Histoire De L'Internet revient, sur la genèse du Net et sur sa propagation phénoménale en si peu de temps sur quasiment toute la surface du globe, ce qui fait de ce webdoc une pure base de réflexion offerte en partage puisque depuis sa diffusion il est toujours en ligne, consultable et téléchargeable. Je suppose que ce n'est pas un hasard...




En préambule, un montage savamment dosé nous est proposé. Pour le geek de plus de trente ans, c'est déjà un régal pour les mirettes. Une plongée non exhaustive, faite de cuts dans ce qu'internet a produit depuis presque deux décennies. Les images défilent rapidement et se superposent montrant dès le départ tout ce que le net véhicule comme contenu, sa diversité, bref un grand fourre-tout, un vrai bazar chaotique qui nous ramène à nos propres sérendipités ! Et puis paf ! Little Goulash et sa volonté d'instaurer un internet "civilisé". Bien sûr, avec le recul, il peut en faire sourire certains ce néophyte des nouvelles technologies mais qu'on ne s'y trompe pas, c'est bien le même qui voulait karchériser les quartiers. D'un coup, ce dangereux activiste à la tête d'un parti politique qui ne sait plus où il achète ses collants, campé à la droite de l'hémicycle et faisant du pied à ses extrémités, nous rappelle toutes les menaces qui pèsent régulièrement sur la libre circulation des contenus du net, à l'instar de la "joyeuse" conception de la Chine en la matière. Dans cet extrait de discours, le même atlantiste évoque la consultation qu'il aura, entre autres, avec le président Obama dont on sait maintenant à quel point il n'est pas vraiment blanc-bleu en matière de flicage de flux, de filtrage de contenu.

Heureusement, un maximum d'espace est dédié à ceux qui ont participé à la création d'Internet. Beaucoup d'intervenants donc, dont certains sont particulièrement "croustillants". Pour les newbies, ce n'est pas péjoratif puisque nous le sommes forcément tous dans certains domaines, informatiques ou pas, il sera question de hacking (vous savez les trucs de barbus, non ?), de cryptographie, de code-source, de logiciel libre, enfin tout un lot d'informations sympas expliquées simplement qui vont venir enrichir votre rapport à la machine pour mieux la comprendre et entrevoir son potentiel. Contourner la censure, protéger ses données est devenu non pas un but en soit, mais une précaution nécessaire pour mieux maitriser les outils qui nous sont proposés, souvent gratuitement, (comme Facebook par exemple, une version post-moderne de la Stasi selon Julian Assange, fondateur de wikileaks) mais dont nous sommes les vaches à lait : Si un service est gratuit et que le produit n'est pas visible, dites-vous bien qu'en réalité le produit, c'est vous. A nous, internautes, d'apprendre à les utiliser en préservant au mieux notre confidentialité, notre intimité, tout en les utilisant pour servir nos propres intérêts. A ce propos, vous trouverez d'excellents conseils pour configurer au mieux votre Facebook afin de garder la main sur vos infos perso. ICI & LA.

La censure et la répression sur le Net sont également au cœur du reportage qui revient sur diverses affaires qui concernèrent essentiellement les premiers fournisseurs d'accès à Internet. On y apprend aussi, par le biais de Rick Falkvinge, fondateur du Parti Pirate suédois, que les premiers copyright datent de 1557, cela se passait en Angleterre et le but était de supprimer toute dissidence politique, la reine avait accordé le monopole de l'impression à l'imprimerie londonienne et en échange elle pouvait censurer tout ce qui sortait de ces presses. Il s'agissait donc d'une culture fermée où une petite élite de privilégiés pouvaient décider de quelle culture et quel savoir seraient livrés au peuple. Comme l'explique également très clairement Benjamin Bayart, président de la French Data Network [FDN] : le choix des ayatollahs du copyright est un monde du revenu de la rente contre un monde du revenu du travail. Selon David Dufresne, journaliste & réalisateur de webdocumentaires, l'interdit ne sera jamais porteur d'intelligence...
J'arrête ici mon spoile mais vous l'aurez compris : Ce webdoc est un must ! Et n'oubliez pas d'appeler un euro-député si ça vous démange (spoile sur un commentaire de Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du net)



Les intervenants :
Little Goulash
John Perry Barlow, parolier des Grateful Dead, co-fondateur de l'Electronic Frontier Foundation
Jeff Jarvis, journaliste et blogueur
Dominique Cardon, sociologue
Richard Stallman, "The last M.I.T hacker", créateur de la Fondation pour le logiciel libre 
David Dufresne, journaliste et réalisateur de webdocumentaires
Vinton Cerf, chef évangéliste de l'internet chez Google et l'un des pères fondateurs de l'Internet
Daniel Martin, créateur du département informatique de la DST (Contre espionnage français)
Jean-Bernard Condat, créateur en 1989 la branche française du Chaos Computer Club
Général Jean Guyaux dit "La baleine", Ex- conseiller scientifique de la DST
Jean Guisnel, journaliste
Olivier Laurelli dit "Buetouff", hacker co-fondateur de Reflet.info 
Andy Müller-Maguhn, hacker, Chaos Computer Club de Berlin
Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du net 
Philip Zimmermann, créateur de PGP, [logiciel de protection de la vie privée] 
Eben Moglen, président du Software Freedom Law Center, Etats-Unis
Frédéric Lefebvre, député UMP lors d'un discours "désopilant" à l'Assemblée nationale en décembre 2008
Rafi Haladjian, ex-PDG de FranceNet
Hervé Bourges, ancien président du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel [CSA]
Valentin Lacambre, créateur de 3615 INTERNET et d'Altern.org
Marie Françoise Marais, magistrate - Présidente de l'HADOPI... Aaah, son lapsus sur les droits des internautes ! Une merveille de connerie humaine.
Olivier Iteau, avocat spécialiste du droit de l'internet
Bruce Schneier, cryptographe - spécialiste de la sécurité informatique
Benjamin Bayart, président de la French Data Network [FDN] 
Rick Falkvinge, fondateur du Parti Pirate suédois
Timo Toots, artiste estonien
Julian Assange, fondateur de wikileaks
Bernard Benhamou, délégué aux usages de l'Internet. Ministère de la recherche
Emin Milli, blogueur & cyberdissident, Azerbaïdjan
Kadija Ismayilova, journaliste & cyberdissidente, Azerbaïdjan
Marietje Schaake, eurodéputée Démocrates 66, Pays-Bas
Bruno Samtmann, directeur commercial, Amesys
Peter Hustinx, contröleur européen à la protection des données
Stephan Urbach, hacktiviste, ex-telecomix, membre du Parti Pirate allemand 
Mitch Altman, pionnier du mouvement des Hackerspaces


Organisations mentionnées :
DARPA : Agence pour les projets de recherche avancée de défense pour l'armée des Etas-Unis
MIT : Massachusetts Institute of Technology  
CCCF : Chaos Computer Club de France
CCC : Chaos Computer Club, le premier laboratoire de hackers en Allemagne
NSA : National Security Agency, service de renseignements américain chargé de l'interception des communications : "Leur despotisme est amoindri par leur incompétence..." John Perry Barlow.
CNRS : Centre national de la recherche scientifique
LIP6 : Laboratoire de recherche en informatique Université Paris 6
Qosmos : Entreprise éditrice de logiciels d'analyse de réseaux


Protocoles, logiciels, évènements & langages informatiques mentionnés :
Peer to Peer : Modèle de réseau informatique où chaque utilisateur est à la fois émetteur et récepteur
PGP : Pretty Good Privacy, logiciel public de chiffrement des données
Code-source : Code informatique écrit par l'homme permettant de donner des instructions aux ordinateurs
IGF : Forum sur la Gouvernance de l'Internet. Bakou, Azerbaïdjan 2012


Et pour finir en beauté...

DECLARATION D'INDEPENDANCE DU CYBERESPACE

 Gouvernements du monde industriel, géants fatigués de chair et d'acier, je viens du cyberespace, nouvelle demeure de l'esprit. Au nom de l'avenir, je vous demande, à vous qui êtes du passé, de nous laisser tranquilles. Vous n'êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n'avez aucun droit de souveraineté sur nos lieux de rencontre.

Nous n'avons pas de gouvernement élu et nous ne sommes pas près d'en avoir un, aussi je m'adresse à vous avec la seule autorité que donne la liberté elle-même lorsqu'elle s'exprime. Je déclare que l'espace social global que nous construisons est indépendant, par nature, de la tyrannie que vous cherchez à nous imposer. Vous n'avez pas le droit moral de nous donner des ordres et vous ne disposez d'aucun moyen de contrainte que nous ayons de vraies raisons de craindre.

Les gouvernements tirent leur pouvoir légitime du consentement des gouvernés. Vous ne nous l'avez pas demandé et nous ne vous l'avons pas donné. Vous n'avez pas été conviés. Vous ne nous connaissez pas et vous ignorez tout de notre monde. Le cyberespace n'est pas borné par vos frontières. Ne croyez pas que vous puissiez le construire, comme s'il s'agissait d'un projet de construction publique. Vous ne le pouvez pas. C'est un acte de la nature et il se développe grâce à nos actions collectives.

Vous n'avez pas pris part à notre grande conversation, qui ne cesse de croître, et vous n'avez pas créé la richesse de nos marchés. Vous ne connaissez ni notre culture, ni notre éthique, ni les codes non écrits qui font déjà de notre société un monde plus ordonné que celui que vous pourriez obtenir en imposant toutes vos règles.

Vous prétendez que des problèmes se posent parmi nous et qu'il est nécessaire que vous les régliez. Vous utilisez ce prétexte pour envahir notre territoire. Nombre de ces problèmes n'ont aucune existence. Lorsque de véritables conflits se produiront, lorsque des erreurs seront commises, nous les identifierons et nous les réglerons par nos propres moyens. Nous établissons notre propre contrat social. L'autorité y sera définie selon les conditions de notre monde et non du vôtre. Notre monde est différent.

Le cyberespace est constitué par des échanges, des relations, et par la pensée elle-même, déployée comme une vague qui s'élève dans le réseau de nos communications. Notre monde est à la fois partout et nulle part, mais il n'est pas là où vivent les corps.

Nous créons un monde où tous peuvent entrer, sans privilège ni préjugé dicté par la race, le pouvoir économique, la puissance militaire ou le lieu de naissance.

Nous créons un monde où chacun, où qu'il se trouve, peut exprimer ses idées, aussi singulières qu'elles puissent être, sans craindre d'être réduit au silence ou à une norme.

Vos notions juridiques de propriété, d'expression, d'identité, de mouvement et de contexte ne s'appliquent pas à nous. Elles se fondent sur la matière. Ici, il n'y a pas de matière.

Nos identités n'ont pas de corps; ainsi, contrairement à vous, nous ne pouvons obtenir l'ordre par la contrainte physique. Nous croyons que l'autorité naîtra parmi nous de l'éthique, de l'intérêt individuel éclairé et du bien public. Nos identités peuvent être réparties sur un grand nombre de vos juridictions. La seule loi que toutes les cultures qui nous constituent s'accordent à reconnaître de façon générale est la Règle d'Or (6). Nous espérons que nous serons capables d'élaborer nos solutions particulières sur cette base. Mais nous ne pouvons pas accepter les solutions que vous tentez de nous imposer.

Aux États-Unis, vous avez aujourd'hui créé une loi, la loi sur la réforme des télécommunications, qui viole votre propre Constitution et représente une insulte aux rêves de Jefferson, Washington, Mill, Madison, Tocqueville et Brandeis (7). Ces rêves doivent désormais renaître en nous.

Vous êtes terrifiés par vos propres enfants, parce qu'ils sont les habitants d'un monde où vous ne serez jamais que des étrangers. Parce que vous les craignez, vous confiez la responsabilité parentale, que vous êtes trop lâches pour prendre en charge vous-mêmes, à vos bureaucraties. Dans notre monde, tous les sentiments, toutes les expressions de l'humanité, des plus vils aux plus angéliques, font partie d'un ensemble homogène, la conversation globale informatique. Nous ne pouvons pas séparer l'air qui suffoque de l'air dans lequel battent les ailes.

En Chine, en Allemagne, en France, en Russie, à Singapour, en Italie et aux États-Unis (8), vous vous efforcez de repousser le virus de la liberté en érigeant des postes de garde aux frontières du cyberespace. Ils peuvent vous préserver de la contagion pendant quelque temps, mais ils n'auront aucune efficacité dans un monde qui sera bientôt couvert de médias informatiques.

Vos industries de l'information toujours plus obsolètes voudraient se perpétuer en proposant des lois, en Amérique et ailleurs, qui prétendent définir des droits de propriété sur la parole elle-même dans le monde entier. Ces lois voudraient faire des idées un produit industriel quelconque, sans plus de noblesse qu'un morceau de fonte. Dans notre monde, tout ce que l'esprit humain est capable de créer peut être reproduit et diffusé à l'infini sans que cela ne coûte rien. La transmission globale de la pensée n'a plus besoin de vos usines pour s'accomplir.

Ces mesures toujours plus hostiles et colonialistes nous mettent dans une situation identique à celle qu'ont connue autrefois les amis de la liberté et de l'autodétermination, qui ont eu à rejeter l'autorité de pouvoirs distants et mal informés. Nous devons déclarer nos subjectivités virtuelles étrangères à votre souveraineté, même si nous continuons à consentir à ce que vous ayez le pouvoir sur nos corps. Nous nous répandrons sur la planète, si bien que personne ne pourra arrêter nos pensées.

Nous allons créer une civilisation de l'esprit dans le cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde que vos gouvernements ont créé.

Davos (Suisse), le 8 février 1996.



















3 commentaires:

  1. Un truc m'a marqué dans ce reportage, la Présidente de la HADOPDI et magistrate Marie-Françoise Marais, est en fait la PREMièRE FEMME à être interviewée.

    Je ne sais pas si c'est délibéré dans l'écriture du film, ou si cela s'est imposé "tout seul", mais c'est un fait. :/

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    1. Je ne l'avais pas remarqué,c'est vrai. Que faut-il en penser ?
      La mère "fouettarde" est d'ailleurs la seule personnalité féminine ayant un rôle quelconque dans l'Histoire du Net. Dans ce web-doc, en tout cas...

      Peut-être qu'un sujet sur le rôle des femmes dans la construction et le développement d'Internet serait instructif !

      Je sais par expérience que c'est plutôt un univers masculin surtout en ce qui concerne le côté hardware.
      Au niveau du code ou de l'utilisation poussée de certains logiciels et autres outils pour le web-design ou le web-dev, il n'y a pas vraiment de différence entre les genres.

      Par contre, on peut aussi se demander pourquoi la NDH (Nuit du hack), qui se tient à Paris tous les ans, est gratuite pour les femmes alors que les hommes doivent payer environ 41 euros :-/

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  2. J'ai failli oublié les interviews de Kadija Ismayilova, journaliste & cyberdissidente en Azerbaïdjan (pour le coup, là, c'est "mère courage"!) et de Marietje Schaake, eurodéputée Démocrates 66 des Pays-Bas qui incarne plutôt l'ouverture d'esprit et le bon sens.

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