11 janv. 2011

BUKOWSKI : vagabond, poète, écrivain, buveur et baiseur

Ce post va sans doute vous paraitre un peu long mais je vais vous parler d'un vieux pote, un de ceux qu'on n'a pas besoin de rencontrer et qui n'est jamais bien loin. Pas question ici d'alter ego, juste une satanée convergence de points de vue, une irrémédiable imbrication d'émotions, de sentiments... Des relents de fébrilité qui mènent parfois au pétage de plombs et qu'on dissimule dans des litres de poison euphorisant. Quand le bitume devient de la guimauve, on s'esbroufe, on se dissout dans l'odeur des villes, on joue des endosses pour se frayer un chemin au Sud de nulle part. Avoir les mirettes comme des vitraux, ça donne de la profondeur de champ et on peut bien trainer un parfum de caniveau, c'est pas ce qui empêche un toucher de soie dans des gants de boxe. Eh, je dis ça, je dis rien... Allons plutôt frapper à la porte de Buk, pas pour voir s'il y a une vie après la mort mais histoire de s'en jeter une rasade de l'american dream et tout le saint frusquin. Et puis gratter les murs, décoller le papier peint pour faire couler les mots qui réchauffent...

"Ils sont tellement, à se prendre pour des poètes. Mais ils n'ont aucune formation, aucune compassion pour cet "artisanat" compliqué et subtile. Les sauvages ont pris d'assaut le château. Il n'y a aucune maîtrise, aucun soin, simplement une volonté d'être reconnu. Et tous ces nouveaux poètes semblent s'admirer les uns les autres. Ça me désole, j'en ai parlé à des amis poètes. Tout ce dont un jeune poète semble avoir besoin, c'est d'une machine à écrire et de quelques pages. Ils ne sont pas préparés, ils n'ont eu aucune préparation du tout." (Hot Water Music, 1995)
Auteur, écrivain, poète germano-américain à l'époque de la deuxième vague de la Beat Generation, célèbre pour ses histoires de survie très alcoolisées et en marge de la société, Bukowski (Hank pour les intimes), avant de devenir un écrivain, a vécu de sales boulots payés au lance-pigot et comme journaliste au Laugh Literary and Man the Humping Guns
Il a été décrit par Jean Genet et Jean-Paul Sartre comme le plus grand poète américain. Il a cependant refusé de rencontrer Sartre (Il avait toujours une bouteille de vin, une caisse de bières ou du whisky à siroter et à finir, bref autre chose à faire...)
Heinrich Karl (Henry Charles) Bukowski est né à Andernach en Allemagne, fils d'Henry Bukowski, un soldat américain, et de Katharina Fett, une allemande. Sa famille émigre aux États-Unis en 1922 et s'installe à Los Angeles, où Bukowski passera la plus grande partie de sa vie. L.A. est d'ailleurs devenue inhérente à son œuvre.Son père est parfois au chômage pendant les années de la Dépression, mais il le cache de peur de perdre sa respectabilité, par contre il met à profit son temps libre pour donner régulièrement des raclées au jeune Buk ainsi qu'à sa mère. "J'ai dû dormir sur le ventre la nuit à cause des douleurs."

Il raconte son enfance dans HAM ON RYE (littéralement : le jambon sur le seigle  /Souvenirs d'un pas grand-chose)(1982), parlant de son père comme d'un homme cruel, un "sacré bâtard" à l'haleine fétide. Ce dernier est mort en 1958. Pour se protéger, Bukowski a commencé par occuper sa jeunesse à boire de l'alcool en abondance. Il a aussi souffert de l'acné - les pustules étaient de "la taille des pommes" - ce qui a rendu complexe ses relations avec les autres adolescents, surtout les filles, et lui a laissé des cicatrices sur le visage. Pendant sa scolarité, il lit énormément, il a été particulièrement impressionné par Main Street de Sinclair Lewis, les histoires de Nick Adams d'Ernest Hemingway, Carson McCullers et D.H. Lawrence.
Après le Lycée, Buk a suivi pendant une année des cours de journalisme et de littérature à l'Université de L.A. Il quitte le foyer parental en 1941 - son père, qui avait lu ses histoires, avait aussi balancé son paquetage sur la pelouse et pour la première fois Hank rend coup pour coup et envoie son paternel au tapis. Cependant, il est souvent revenu à la maison de ses parents quand il était totalement cassé.
Pendant la seconde Guerre mondiale il mène une vie de vagabond alcoolique vivant parmi les clochards. Il se fait sa traversée de l'Amérique, exerçant successivement les jobs de préposé dans des stations-service, liftier, conducteur de camion et manut' dans une usine de biscuit pour chien. À l'âge de trente-cinq ans il commence à écrire de la poésie.

En 1944 sa nouvelle Aftermath of a Lengthy Rejection Slip (la Conséquence d'une Longue Lettre de refus) est publiée en épisodes. Il retourne à Los Angeles rencontre Janet Cooney Baker avec qui il partage les 10 années qui suivent. De 10 ans son aînée, c'est également une alcoolique notoire. Elle meurt en 1962.
Bukowski travaille comme postier de 1952 à 1955. C'est à cette époque qu'il frôle la mort et est hospitalisé en urgence pour un ulcère dû à l'alcool ayant provoqué un début d'hémorragie.

"Si vous devez écrire, vous devez avoir quelque chose sur quoi écrire"
"Les dieux ont été cléments. Ils m'ont laissé dans la rue."
Il a aussi prétendu que 93% de son travail était autobiographique.
Il se marie ensuite avec Barbara Frye, riche éditrice d'un petit magazine de poésie, Barbara publie dans sa revue les poésies de Bukowski dont certaines lui sont consacrées.  Leur idylle dure 2 ans et il la quitte ne supportant plus, dit-il, ses caprices et ses sautes d'humeur... A partir de 1958 il travaille à nouveau dans un bureau des services postaux fédéraux, il y restera 12 ans avec un salaire pourri. Il passe quelques années avec Frances Smith, ils ont une fille, Marina Louise.

Depuis 1955, Hank publie un recueil de textes poétiques par an. La première compilation de ses écrits est imprimée en 1959 : FLOWER, FIST AND BESTIAL WAIL (Fleur, Poing et Gémissement bestial). Ses premières poésies sont très inspirées du travail de Robinson Jeffers. Il y admire la force et l'endurance et dépeint les confrontations violentes et sexuelles entre hommes et femmes. Son premier livre de prose, ALL ASSHOLES IN THE WORLD AND MINE (Tous les trous du cul du monde et le mien), parait 7 ans plus tard. Un de ses éditeurs dans les 60's est Jon Edgar Webb du "Outsider magazine", qui a publié les œuvres d'auteurs tels que Gary Snyder, Lawrence Ferlinghetti, Allen Ginsberg, Henry Miller et William Burroughs. Progressivement Bukowski est devenu crédible et sa sincérité reconnue dans ses descriptions du monde des marginaux, des laisser-pour-compte.
"Une rumeur persistante qui a couru pendant des d'années rapportait que les poésies parfois explosives de Hank étaient en réalité écrites par une vieille dame méchante avec des aisselles velues" Arnold Kaye in "Literary Times" (1963).

Hank passe peu à peu d'une poésie introspective à une écriture plus expressionniste avec AT TERROR STREET AND AGONY WAY (A la rue de la terreur et la voie de l'agonie (1968) et THE DAYS RUN AWAY LIKE WILD HORSES OVER THE HILL (Les jours s'en vont en courant comme des chevaux sauvages sur la colline)(1969). Ses nouvelles et chroniques sont publiées sous le titre "Journal d'un vieux dégueulasse" dans l'Open City et le Los Angeles Free Press. Les textes sont ensuite rassemblés dans un livre la même année. En 1970 Bukowski quitte son job aux services postaux fédéraux après que l'éditeur John Martin deThe Black Sparrow Press lui ait offert 100 $ par mois à vie pour écrire à plein temps. La même année Linda King, de 20 ans sa cadette, entre dans sa vie. Leur relation tumultueuse se termine au milieu des 70's.
Avec le changement de situation sociale, les poésies de Buk ne plongent plus dans les aventures d'un marginal, mais deviennent des commentaires méditatifs et sarcastiques sur son environnement, les courses hippiques et les aléas du quotidien. Bien que prolifique, il est resté un outsider littéraire qui publie grâce à des petites maisons d'édition principalement sur la Côte ouest. En 1973 il obtient une audience plus large quand est diffusé à la TV un documentaire primé réalisé par Taylor Hackford.

L'alter ego de Bukowski dans ses livres, Henry Chinaski, puise ses racines littéraires dans les personnages des romans de Dostoïevski et de Louis-Ferdinand Céline. Chinaski est un dur, un grand-buveur coureur de jupons, qui vit avec les clochards et les délinquants, faisant parfois aussi des incursions dans la haute société. Le personnage est présenté dans l'autobiographique CONFESSIONS OF A MAN INSANE ENOUGH TO LIVE WITH THE BEASTS (Confessions d'un homme assez fou pour vivre avec les bêtes)(1965).
On peut suivre les aventures de Chinaski dans les romans LE POSTIER (1971), où il parvient à s'émanciper de la tyrannie du travail salarié, FACTOTUM (1975),
WOMEN (1978) et les Souvenirs d'un pas grand-chose (1982).
En 1985, Bukowski épouse Linda Lee Beighle, une jeune hippie qu'il fréquente depuis 1976, "toute emprise de philosophie tibétaine et qui tient un restaurant macrobiotique à Los Angeles". Elle a vingt-cinq ans de moins que lui. C'est le début de la période la plus équilibrée de sa vie. Vers la fin de ses jours, il vit dans une maison avec piscine, conduit une BMW noire, continue de jouer aux courses de chevaux...
Il n'écrit plus sur une bonne vieille Underwood mais sur ordinateur et écoute ses compositeurs favoris : Sibelius, Mahler et Rossini. THE LAST NIGHT OF THE EARTH POEMS (1992) est le dernier recueil publié de son vivant.On peut y lire des réflexions sur les gens qui ont croisé son chemin et le renvoient à des visions de mort. Bukowski meurt de leucémie le 9 mars 1994 à San Pedro, un quartier de L.A. L'acteur et réalisateur Sean Penn lui a dédié son film The Crossing Guard (1995).


L’hiver sur mon

            plafond mes yeux gros comme des réverbères.

            J’ai quatre pattes comme une souris mais

            je lave mes propres sous-vêtements à barbe j’ai

            la gaule, la gueule de bois et pas d’avocat.

            J’ai la tête en gant de toilette. Je chante

            des chansons d’amour et je soulève de l’acier.

            Je préfèrerais mourir que de pleurer. Je ne peux pas

            blairer les cabots je ne peux pas vivre sans eux.

            Je colle ma tête au réfrigérateur blanc

            et j’ai envie de pousser un cri comme

            on pleure les dernières larmes de sa vie, à jamais mais

            je suis plus grand que les montagnes.

***
 IL Y A UN ROSSIGNOL…

 Il y a un rossignol bleu dans mon cœur

qui veut sortir

mais je suis trop fort pour lui

je lui dis

reste là

je ne laisserai personne

te voir



Il y a un rossignol bleu dans mon cœur

qui veut sortir

mais je l’arrose de whisky

et de fumée de cigarettes

et les putes, les patrons de bar

et les épiciers

ne sauront jamais qu’il

est là



Il y a un rossignol bleu dans mon cœur

qui veut sortir

mais je suis trop fort pour lui

je lui dis reste tranquille, qu’est-ce que tu veux, foutre le bordel

en moi

tu veux foutre en l’air mon travail ?

tu veux bousiller mes ventes de livres en Europe ?



Il y a un rossignol bleu dans mon cœur

qui veut sortir

mais je suis trop intelligent, je ne le laisse dehors

que certaines nuits

à l’heure où tout le monde dort

je lui dis, je sais que tu es là,

alors ne sois pas si

triste



et puis je le fais rentrer

mais il chante encore un peu

à l’intérieur ; je ne laisse presque pas

mourir

et on dort ensemble comme

ça

avec notre

pacte secret

et c’est assez agréable de

faire pleurer un homme, mais moi

je ne pleure pas

et toi ?
 ***
Une des plus belles lignes de Lorca :

            ‘’l’agonie, l’agonie

            toujours’’

            pense à cela quand tu tues un cafard

            ou que tu prends un rasoir pour

            te raser



            ou le matin quand tu t’éveilles

            pour

            faire face au

            soleil

Trois bouteilles de vin blanc au goulot et un éléphant sur une étagère


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