J'ai choisi de partager sur ce blog un texte de Joëlle Aubron, ex-membre d'Action Directe, déniché sur le site Bibliolibertaire - une vraie mine d'or - où elle décrit son engagement politique radical avec le recul d'une personne qui est emprisonnée. Joëlle Aubron n'a jamais renié son engagement, elle en a juste souligné les limites et/ou les contradictions inhérentes à une telle implication dans la sphère politique. Les actions qu'elle a menées avec ses camarades de lutte Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon et Georges Cipriani, entre autres, peuvent paraitre discutables ne serait-ce que par rapport au résultat obtenu ou encore si l'on se réfère à la chanson de Brassens "Mourir pour des idées, d'accord mais de mort lente...", la fin justifie-t-elle les moyens, etc... Certains transcendent leur idéal dans le domaine artistique, musical, théâtral, littéraire, d'autres demeurent d'obscurs scribouillards à l'instar de votre serviteur, d'autres encore organisent débats et manifestations diverses... Mais ce qui forge le socle de l'engagement au delà de notre sentiment d'injustice et notre envie de révolte est parfois trop fragile car aux contours assez flous...
L'ENGAGEMENT - Joëlle Aubron, ex-prisonnière politique, militante d'Action Directe.
L'engagement, s'engager nom commun ou verbe, le début de l'histoire est ce pourquoi on le fait. S'y entrelacent rejet des injustices et inégalités, vouloir y mettre terme, tenter un ici et maintenant différent et porteur d'avenir, circonstances et rencontres un flux inextricable d'émotions, des intimes, des collectives, dont la conscience se nourrit. Un processus et des alchimies. Les conditions historiques, les luttes et rêves collectifs de l'heure organisent les rencontres, les rencontres donnent de la matière aux premiers. Dans l'engagement, il y a spontanéité et décision mûrement réfléchie. La part de l'une et de l'autre est indéterminée. Elles augmentent ou diminuent en une tuyauterie communicante qui forge la détermination. L'engagement peut nous dépasser, exiger de nous bien au-delà de nos possibilités premières, de ce que l'on croit en savoir. Pour autant, avant tout, il nous porte. Il est courant de penser qu'on s'engagerait, sûr d'avoir raison. Je n'en crois rien. Je n'ai jamais pensé détenir la vérité, je me suis contentée d'espérer ne pas avoir tort. Ce n'est pas une réponse de Normande. Si d'hésitations en fulgurances, j'ai avancé, ce fut autour d'un questionnement. Plusieurs même ou se décline de contribuer à élaborer un autre futur. La balance peut sembler mal équilibrée des choix aussi définitifs pour une contribution, simultanément, forte et incertaine. Cependant l'équilibre se fait.
D'un côté, une suite de choix, guidés par le soucis d'être cohérent, avec soi-même aussi. Dans le second plateau la lucidité sur l'éternelle incertitude elle-même compensée par la motivation et le sentiment de participer à une histoire commencée bien avant soi. Aujourd'hui, après 14 ans de prison dans des circonstances difficiles, cette aspiration ne m'a pas désertée. Il y a même des jours où je me demande si ce n'est pas la violence des hauts murs qui la conserve si vivante. La misère sociale, culturelle, humaine même parfois peut provoquer le sentiment d'impuissance. Mais, si rejeter l'impuissance est au cœur de l'élan vital ? Il y a un permanent aller-retour. Nous avons été vaincus et quand je dis nous ce ne sont pas seulement ceux d'A.D, c'est une génération entière de militants révolutionnaires, voire plusieurs, un continuum d'engagements dont les rêves n'ont pas pu, pas su se matérialiser. Et alors ?.
Pourquoi en être découragé ? À l'instar de ceux et celles nous ayant précédé, nous avons appris et apprendrons encore. Le courage avait surgi de la nécessité.
La nécessité prenait sa source en deux dynamiques, inextricablement liées ce pourquoi et ce contre quoi l'on se bat. Le choix de la lutte armée n'est pas au centre. Elle est un moyen, la conséquence d'un moment historique le fruit d'un développement dans l'histoire réquisitionnaire. Néanmoins, risquer sa vie mais aussi assumer la violence dans nos sociétés développées peut paraître extrême. Et sans doute, plus encore la seconde implication. Justement parce que les représentations de "l'homme civilisé" s'acharnent à nier l'omniprésence d'une violence destructrice dans les rapports économiques et sociaux, et par là politiques.
Face à la violence brutale de l'ordre des choses tel qu'il est donné, seuls seraient admissibles les moyens dit démocratiques. Et l'impact du message de se renforcer encore dans le matraquage idéologique selon lequel le régime politique dominant serait le moins pire des systèmes possibles.
Je n'ai pas envie d'énumérer ici les guerres, les massacres, les destructions irrémédiables,... que produit ce prétendu moins pire. Pas seulement parce que ce serait fastidieux, c'est inutile l'histoire humaine n'est pas un bilan comptable. Mesurant l'inquantifiable, la comptabilité est irresponsable. Or l'engagement questionne la responsabilité. Contre les hypocrisies confortables, il déploie ses questionnements, met à nu les contradictions et repose sempiternellement la question des limites. La loi n'en est qu une parmi d'autres ; légalité n'est pas légitimité, les exemples ne manquent pas, du Code Noir aux Lois de Nuremberg.
Plus essentielles, celles dont Sartre rend compte dans "Les mains sales", le moment où l'on accepte de se salir les mains, celui où l'on refuse, celui où l'on se soumet à une discipline supérieure - quelle qu'elle soit -, celui où le but ne transcende plus les moyens. Un nécessaire questionnement pour que reste toujours ouverte la contradiction et en éveil la conscience. Mon engagement politique fut toujours parcouru par les questions qui avaient surgi à cette lecture, adolescente. Contre la barbarie d'une organisation sociale prédatrice, balayant le dégoût et la haine la colère et la révolte ouvrent la perspective. A interpréter notre réalité selon le credo de nos maîtres à "penser" nos désirs et nos ambitions se calculeraient à la progression du CAC40 pour les uns, à la sortie des cases de l'exclusion pour les autres. La découverte des exclus a accompagné "l'avènement" d'une prétendue fin de l'histoire ce n'est pas un hasard. C'était il y a dix ans. Aujourd'hui, nous n'en sommes plus là ;les ambitions pour faire coïncider démocratie politique et démocratie sociale, la soif de justice, ..., les désirs d'en finir avec la tristesse de l'impuissance alimentent à nouveau la nécessité de cette perspective, celle d'un monde réconcilié avec les vivants. La lutte armée ne semble exceptionnelle que Si l'on perd de vue la longue histoire de luttes des exploités et autres bannis pour se construire un devenir digne de leur humanité.
Je me suis engagée parce que cela me sembla évident. J'en avais l'opportunité, cela convenait à ma perception de ce qu'il fallait faire et de ce que je pensais possible. Le coût était approximatif, imaginé mais non vécu. Pour autant, n'est-ce pas le lot de chacun? "Être un homme, une femme, veut dire, joyeusement jeter sa vie entière dans la balance du destin, S'il le faut, mais aussi "se réjouir d'une journée lumineuse, d'un beau nuage." En 1917, alors incarcérée, Rosa Luxemburg écrivait ces lignes à une amie dans la peine. Et puisque justement, contre les logiques mortifères du régime capitaliste, il s'agissait et il s'agit encore de "miser sur la vie " "(2), l'engagement est une manière de vivre. Elle a le fantastique avantage de nous faire sujet de notre destinée. "Les hommes font leur histoire eux-mêmes, même Si dans des conditions historiquement déterminées" "(3) L'engagement, c'est à la fois le vieux mythe de Prométhée, volant le feu aux Dieux pour que les hommes ne dépendent plus de leurs forces aveugles et arbitraires, et la persévérance faisant des illusions perdues des forces d'avenir.
NOTES
(1) IVe siècle av,. J. C.
(2). Une expression que je tire d'un livre d'entretiens avec d'ex-prisonnières des Tupamaros. mouvement révolutionnaire uruguayen dans les années 60 et 70. Avec des nuances, plusieurs de ces femmes, revenues de conditions extrêmes dans les prisons militaires, témoignent du sens de leur combat en parlant de ce "pari".
(3) K. Marx
La K-Bine - Terrorisme d'État
La peine de Joëlle Aubron a été suspendue en juin 2004 pour raisons de santé. Elle meurt à Paris le 1er mars 2006 d'un cancer du poumon.
Les demandes de libération anticipée de Régis Schleicher ont été plusieurs fois repoussées par le tribunal de l'application des peines. Le 23 juillet 2009, il lui est accordé un régime de semi-liberté. Il a publié Clairvaux, instants damnés, un livre où il évoque le quotidien des détenus condamnés à de longues peines.
Les demandes de semi-liberté de Georges Cipriani ont été plusieurs fois rejetées (en 2005, 2007 et 2009). Ce régime lui est finalement accordé en 201019. Le 3 mai 2011, la cours d'appel de Paris lui octroie une libération conditionnelle.
Le 10 mai 2007, le tribunal d'application des peines de Paris a accordé un régime de semi-liberté à Nathalie Ménigon, emprisonnée depuis 1987. Elle travaillera la journée et retournera dormir en prison, mais le parquet a immédiatement fait appel de cette décision. Le jeudi 19 juillet 2007, la Chambre d'application des peines de la Cour d'Appel de Paris lui a finalement accordé le régime de semi-liberté.
Nathalie Ménigon, à qui un régime de semi-liberté a été accordé à partir du 2 août, a été transférée mardi 24 juillet 2007 du centre de détention de Bapaume (Pas-de-Calais) à la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses. Ce régime de semi-liberté est un préalable à une mesure de libération conditionnelle, finalement accordée le 17 juillet 2008. Elle est libérée en régime de libération conditionnelle le 2 août 2008 sur décision du tribunal de l'application des peines de Paris, après plus de vingt ans de prison.
De ses années de prisons, il lui reste de graves séquelles physiques d'une hémiplégie due à deux accidents vasculaires cérébraux.
Jean-Marc Rouillan a tenu une chronique sur l'univers carcéral dans le journal CQFD. Il a obtenu un régime de semi-liberté à partir du 17 décembre 2007. Cette semi-liberté a été révoquée en octobre 2008 suite à des propos tenus lors d'une interview donnée au magazine L'Express. Il obtient à nouveau en 2011 une mise en semi-liberté effective le 19 mai 2011.
En 2003, Hellyette Bess est placée sous contrôle judiciaire dans une enquête pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, falsification de documents administratifs et contrefaçon dans l'affaire du (nuovo) Partito Comunista Italiano.
Divers Liens:
http://www.action-directe.net/
http://action-directe.over-blog.com/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Action_directe
http://www.wat.tv/video/joelle-aubron-interview-1jllt_2i9o5_.html
http://archive.filmdeculte.com/film/film.php?id=1051
http://videosonar.com/2/tag/%20MENIGON.html
http://action-directe.over-blog.com/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Action_directe
http://www.wat.tv/video/joelle-aubron-interview-1jllt_2i9o5_.html
http://archive.filmdeculte.com/film/film.php?id=1051
http://videosonar.com/2/tag/%20MENIGON.html
UN FILM A VOIR:
Dans les années 70, des anarchistes français luttèrent avec leurs camarades catalans contre l'Espagne franquiste finissante. Pour financer leurs actions subversives, ils multiplièrent hold-up et braquages de banques. Au milieu des années 80, certains de ces "libertaires" passèrent à l'action directe anti-capitaliste en revendiquant l'assassinat de patrons comme celui de Renault. D'autres refusèrent catégoriquement de recourir à ce type de violence, sans toujours se désolidariser de leurs anciens compagnons de lutte.
A l'heure où tant d'ex-soixante-huitards accèdent au pouvoir en reniant leurs engagements passés, ces rebelles prétendent avoir mis en conformité leurs convictions et leurs actes, et quelquefois le payent, comme Jean-Marc Rouillan, de longues années de prison.
Ce film ouvre le débat sur la légitimité de la violence et la fidélité des choix politiques.
"Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas à déjà perdu"
"La dignité est dans la lutte, pas dans l'issue du combat"
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