1 déc. 2011

BASHUNG & Maxime BRUNEEL - Variations Sur Marilou

...1968, alors qu'il hume l'air encore fumant de Paris, en arpentant les pavés de la rue de Lille, Serge tombe en arrêt devant la Galerie Paul Facchetti. Derrière la vitrine, la sculpture d'un homme à tête de chou le dévisage, l'interpelle. "Quinze fois, je suis revenu sur mes pas puis, comme sous hypnose, j'ai poussé la porte, j'ai payé cash et l'ai faite livrer à mon domicile." L'œuvre a encore l'odeur du métal fraichement travaillé. Les artistes Claude et François­-Xavier Lalanne l'ont  terminée juste à temps pour leur exposition. Claude se rappelle très bien : "Cela faisait à peine cinq jours que je l'avais terminée et déjà elle partait. J'étais ravie que ce soit lui qui l'achète parce que je l'admirais beaucoup...". Lui, c'est Serge  Gainsbourg. Entre l'homme à tête de chou  et lui va débuter un dialogue de sourd qui va durer huit ans...
"Au début il m'a fait la gueule, ensuite il s'est dégelé et m'a raconté son histoire : journaliste à scandale, tombé amoureux d'une petite shampouineuse assez chou pour le tromper avec des rockers, il la tue à coups d'extincteur, sombre peu à peu dans la folie  et perd sa tête qui devient chou." C'est dans une de ces longues nuits de 1976 que la sculpture a révélé son secret à Serge. La statue s'ennuyait ferme et Gainsbourg tenait un sérieux cafard, son film "Je  t'aime moi non plus" s'était fait éreinter par la critique, son album précédent "Rock Around The Bunker" se ratatinait dans des ventes lilliputiennes et les finances tutoyaient dangereusement la zone rouge. En quelques heures de face à face nocturne avec ce buste de métal à crâne végétal, l'histoire de l'homme à tête de chou va trouver son rythme, sa prosodie, son souffle, ses breaks et sa diction...


Aux antipodes de toute sa tradition mélodique et de sa formule chanson, Gainsbourg écrit ses strophes  comme  des chorus, étirés parfois sur plus de huit minutes (comme Variations sur Marilou) sans se soucier de la musique qui ira avec. Contrairement à son habitude Gainsbourg tient à surveiller jusqu'à la moindre virgule du texte avant d'envisager la moindre orchestration. ll veut chanter le moins possible. Sa voix rongée par les clopes (comme il le dit dans sa publicité "Bic" censurée de l'époque) ne lui permet plus de jouer les perchés, alors il veut passer à la chanson parlée, à ce fameux Talk over, prisé dans le reggae et le dub... (Source : Extrait du livret de l'album "Alain Bashung - L'homme à tête de chou". Commentaire rédigé par Marc Besse).
Voilà pour la genèse de l'œuvre du fumeur de gitanes. L'album devenu culte depuis n'en demeure pas moins figé pour autant sauf que pour se l'approprier à nouveau, il fallait un autre grand bonhomme à la sensibilité aiguisée comme une lame de rasoir. Une voix, un rythme capables de raconter cette histoire construite en forme de tableaux qui s'enchainent les uns après les autres, entrainant l'auditeur jusqu'au point d'orgue final, au paroxysme de la folie...


C'est en 2006 qu'Alain Bashung apporte sa caillasse à l'édifice. Le producteur Jean-Marc Ghanassia avait envie de mettre en scène l’Homme à tête de chou. Il avait vu les spectacles de Jean-Claude Gallotta, directeur du Centre chorégraphique national de Grenoble et pensait à un ballet. Mais qui pouvait réincarner Gainsbourg ? Ils ont tous deux très vite évoqué Bashung, à la frontière entre le rock et quelque chose de plus contemporain. "Alain a tout de suite accepté, dans la perspective de le jouer sur scène, et il a enregistré très vite sa voix, en 2006. C’était comme s’il l’avait répété toute sa vie. C’est sorti d’une traite." raconte Jean-Claude Gallota, "Alain avait bien compris qu’il s’agissait de danse et a eu une attitude très humble, en prévoyant que les danseurs seraient sur le devant de la scène et les musiciens en retrait. Il n’a pas du tout changé les textes. Il a rallongé la musique pour que cela fasse une heure de ballet. Les douze morceaux sont respectés, mais dans un continuum, comme s’il s’agissait d’un montage de film. Et puis il y a comme une 12 bis. Écrire encore n’était pas faux, c’était comme si cette musique restait inachevée, il l’a prolongée." En 2008, Bashung informe Gallota qu’il n’a pas la force, qu’il n’aura pas le souffle suffisant, qu’il faudra trouver une autre solution. Il demande : "Est-ce que ma voix est bien enregistrée ?" "Elle l’est." lui répond Gallota sans hésitation !

"Je ne sais pas vraiment, mais je pense qu’il avait prévu qu’il n’aurait pas la force de revenir sur la bande après son album. Ils nous a laissé une maquette magnifique, confiant aux mixeurs, Denis Clavaizolle et Jean Lamoot, le soin d’aboutir le projet musical. Le samedi précédant sa mort, on ne savait pas qu’il était à l’hosto, et on écoutait la bande. Je me suis dit que Bleu Pétrole était déjà dans l’Homme à tête de chou : "Là-dessus, cette Narcisse plonge avec délice / Dans la nuit bleu-pétrole de sa paire de Levis".

Laissons ici Gallota et la création du ballet qui fît son chemin après la disparition d'Alain Bashung, même si le chorégraphe a pensé abandonner "mais on était allé trop loin. Tout était engagé. On ne savait pas où on allait mais cela relevait de l’intuition, du coup de foudre, et lui, il me faisait un cadeau... Ce contact qu’il a avec la danse contemporaine, je le comprends. Il y a l’absence de Marilou dans l’Homme à tête de chou. Puis il y a l’absence de Gainsbourg, et maintenant celle de Bashung… Comme si la danse était le réceptacle de l’absence, qu’elle avait en charge l’énergie qui reste, la trace."
Probablement, en effet, mais décidément l'intervention de Bashung dans le destin de cette œuvre n'en finit plus de faire des petits et c'est avec la boite de prod. ChezEddy que l'aventure se poursuit grâce à un film d'animation réalisé par Maxime Bruneel dont voici le teaser... Neuf minutes de bonheur !



Production Company : ChezEddy
Director : Maxime Bruneel
Producer : Nicolas de Rosanbo
Line Producer : Coline Six
Production Manager : Anne-Lise Mallard
Animation : Antoine Ettori - Emmanuelle Walker - Matthieu Gaillard - Vincent Verniers - Gaëtan Louet - Hélène Marchal


Flash Forward by Alain Bashung on Grooveshark


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire