4 déc. 2010

LA CULOTTE

Elle m'a dit : "viens, je vais te présenter des copines..." C'était le début de l'été et les corps étaient souples et ondulaient sous des vêtements légers, l'air nous pénétrait les narines et remplissait nos têtes de parfums d'asphalte chaud et d'odeurs de chairs mélangées aux arbres du boulevard. On est passé chez Aziz, on a pris une bouteille de Wild Turkey et on s'est engouffré dans le métro. Dans la rame, les cuisses des femmes faisaient un bruit de succion au contact des banquettes, les mains lissaient le chrome des barres de sièges et grimpaient comme un lierre blanc sanglé dans des veines palpitantes. "On l'appelle Ananas, ça vient de quand on préparait le chili au Palissandre...
On a bossé ensemble huit mois dans ce bar. Il y aura aussi Jenny, l'américaine qui dessine, c'est des sacrées picoleuses ! T'as intérêt à tenir la cadence pépère..." J'aimais bien quand elle me parlait comme ça, du haut de mes 25 piges je jouais un peu les affranchis, je commençais tout juste à soulever le sourcil avec le sourire en coin... Un immeuble à l'architecture bauhaus surplombant le cimetière Montmartre, c'est là qu'Ananas habitait, au dernier étage. Dans le hall, on s'est pris par le bras jusqu'à la grille de l'ascenseur, on a partagé une clope, la bouteille de bourbon faisait des gloup gloup dans son sac. J'avais toujours une légère angoisse à faire connaissance sur rendez-vous, souvent je buvais un demi ou deux avant de m'élancer. "C'est là !" Une petite remontée de bière s'est mêlé à son parfum quand elle a virevolté de la cage à une porte cossue. Trois toc toc et des "Hiiii !" plus tard, je faisais la bise à Ananas, le nez dans sa chevelure au henné. Jenny était sur le balcon et claquait des doigts en s'approchant. J'ai eu l'impression de la voir surgir d'un champ de coton vert moutarde. Le soleil venait se consumer sur la baie vitrée et dévorait le salon. Les ombres ont glissé lentement sur les murs, nous remplissions des cendriers et l'alcool circulait dans nos gestes, nous devenions suaves. Le vent jouait sur les hauteurs de la ville et faisait des vagues sur les robes, Jenny parlait et sa bouche semblait vouloir manger le ciel. Ananas sortait tout un tas de fringues d'on ne sait où, des mains me frôlaient et je souriais d'avoir autour moi ce triptyque féminin qui  s'étranglait de rire sur des vannes de cul. Je ne sais plus trop comment mais peu à peu, tout un assortiment de maquillage a envahi le salon. "Ananas me file cette culotte, elle est chouette non ?" Debout, pieds nus sur un tas de tissus multicolore, son nombril me regardait , ses mains flottaient dans l'air. Les miennes étaient bariolées de vernis à ongle et Jenny avaient les siennes sur mes paupières, bref je me faisais maquiller les yeux.

Des rimes au rimel où se mêlent les belles, se meuvent les louves, se lovent les chattes aux pattes de soie, cils et lèvres ciselées, s'y risquer, fissures et faux airs de poupée aux abois, le soir après toi c'est entre sois qu'on boue, mis bout à bout, là  jetés à bas... Le soir avait empourpré les ailes du salon et nous étions vautrés sur tout ce qui épousait nos chairs... Des mots crus sortaient par les bouches des filles sans que cela ne soit jamais vulgaire tout juste d'une impudeur qui sentait la sueur et frôlait l'hystérie charnelle... D'être ainsi fardé, je m'étais fondu dans ce nid fruité, complice et témoin du grand déballage des pensées les plus intimes, c'était là ma chance et on se caressait du bout des pieds en crachant nos nicotines. C'était au début de l'été...

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