C'était en juin,les téloches balançaient des images de traine-lattes médaillés qui venaient serrer la pince à des costards trois-pièces posants pour la postérité. On parlait à la place des morts, on se répandait en mensonges d'Etat devant des caméras compatissantes...Antoine avait sa braguette ouverte et il pissait au vent. Il tombait des cordes, le ciel lui coulait dans le col. La rumeur de la ville lui parvenait par bribes, au gré des bourrasques.De corpulence plutôt chétive il lui fallait incruster une main dans l'écorce de l'arbre pour ne pas vaciller dans un moment pareil. Il se demandait combien de pauvres types avaient pu mourir comme ça la bite à la main, traversés d'éclats d'obus ou d'une bastos dans le dos. Y'avait vraiment pas de quoi pavoiser...il avait beau retourner ça dans sa caboche, il la sentait pas l'épitaphe.C'est ça qu'il dirait lui face aux journaleux rampants : "Oui mesdames et messieurs tous ici nous sommes prêts à suivre le digne exemple de nos aînés, nous mourrons pour la paix dans le monde le flingue dans une pogne et le zguègue dans l'autre, face contre terre dans notre pisse..."
Sûr que ça aurait de la gueule comme discours de bienvenue aux armées. Ca le rendait moins nerveux d'un coup d'avoir eu cette idée. Une fossette maline s'était creusée dans sa joue droite. Il rengainait posément. Il s'en revenait vers les tours en évitant les flaques même si ses baskets avaient déjà depuis longtemps rendu l'âme et fusionné avec le bas râpé de ses jeans. C'était pas un "niké" de la sape le Toine, avec lui les champs de coton et pas mal de gamins dans le monde pouvaient dormir tranquilles, les frusques vieillissaient au rythme lent de leur propriétaire, à contre-courant des frénésies de la société.
Il se trouvait bien toujours quelques comiques pompeusement attifés pour lui faire remarquer son élégance rudimentaire mais dans l'ensemble il était apprécié dans le quartier. Il balladait sa dégaine et sa nonchalance avec constance jusque dans les assemblées houleuses d'habitants en colère.C'était pas les sujets de fâcherie qui manquaient dans le coin. Insalubrité des immeubles, chomdu, dope, "goumes" entre ados, manque de fric pour l'école, manque d'école chez les flics...bref un joli pack des vicissitudes de la vie quotidienne.
Antoine avait grandi à trente bornes de là, intra-muros comme on dit.En ville quoi. Enfin au coeur d'une ville... Ici, pas de coeur, la vie pourtant partout et les cohues autour du centre commercial.Et puis deux ou trois épiceries de nuit pas trop bégueules.C'est pas vraiment par choix qu'il avait aterri en zone "sensible" mais sa sensibilité à lui s'en était bien accomodée. De toute façon la ville lui filait le train, le périphérique ressemblait de plus en plus à une ligne de démarcation pour éxilés du grand boum spéculatif de l'immobilier. Le ghetto des nantis vomissait un peu plus chaque année sa boyace de minima sociaux.Pas de doute là-dessus il s'était retrouvé du côté de la majorité pour une fois, le plus grand nombre celui avec lequel il buvait son café, mangeait, dormait, baisait, vivait.
(à suivre...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire