Voilà un documentaire qui fait écho au film La stratégie du choc que je vous présentais début avril. Il aura fallu douze ans d’acharnement au réalisateur Richard Brouillette pour que son film L’Encerclement - La démocratie dans les rets du néolibéralisme voie le jour. Il faut dire qu’il s’agit de quelqu’un de très engagé (et aimé) dans sa communauté à titre de défenseur du cinéma indépendant - au sein de Main Film et la Casa Obscura par exemple.
Si la forme cinématographique du projet en rebutera certains (attendez-vous à une série d’entrevues en noir et blanc, accompagnées de textes informatifs et de très belles archives), il faut souligner la témérité de son auteur qui y a joué presque tous les rôles (scénariste, réalisateur, producteur, monteur et traducteur !) sans chercher à plaire - mais plutôt à faire réfléchir et dénoncer...
Car c’est bel et bien un sentiment de révolte qui a poussé Richard Brouillette à faire un film « non pas sur la mondialisation de l’économie - comme il y en avait déjà plusieurs - mais bien sur la mondialisation d’un système de pensée. Un film sur le contrôle des esprits, le lavage de cerveau, le conformisme idéologique ; sur l’omniprésente irréfutabilité d’un nouveau monothéisme avec ses tables de lois, ses buissons ardents et ses veaux d’or ».
Ceux en quête d’un cours d’économie politique ou d’une rencontre avec les grands détracteurs de la pensée néolibérale (ils sont tous là : Noam Chomsky, Ignacio Ramonet, Normand Baillargeon, Susan George, Omar Aktouf, Michel Chossudovsky, etc.) y trouveront leur compte. Par contre, d’autres regretteront qu’à trop vouloir laisser la place à la pensée... le fond ait un peu trop primé sur la forme. (Source : Journal Alternatives)
J'ajoute que faire marcher le cerveau de sa tête ne peut pas nuire et que malgré la forme un peu austère, ce film est une pierre précieuse apportée à l'édifice de la pensée critique.
Notes d’intentions du réalisateur
Comme ce le fut le cas pour mon documentaire précédent, Trop c’est assez, ce film est né d’une révolte.
Au départ, il s’agissait d’une révolte face à la défaite de la pensée, i.e. face à la dévalorisation de la vie avec la pensée. La conversion du système d’éducation en système de formation professionnelle y était pour beaucoup, tout comme l’avènement d’une société où l’information était devenue reine, mais le développement de la connaissance révolu. Une image me guidait, une gravure de Francisco de Goya intitulée Le sommeil de la raison engendre des monstres, tirée de la série Les caprices.
Puis, un éditorial d’Ignacio Ramonet, intitulé "La pensée unique" et paru dans Le monde diplomatique de janvier 1995, fit peu à peu fait son chemin dans mon esprit et l’objet de ma révolte se transforma lentement, se fixant plutôt sur la sclérose de la pensée politique – sachant que tout est politique. Occupée par une idéologie dogmatique, cette pensée s’était muée en idée fixe, celle de dépouiller l’État de tous ses pouvoirs pour ensuite les confier aux soins du marché qui, bien entendu, savait tout mieux faire.
De dominante, la pensée des maîtres possédants était devenue écrasante, irréfragable. Relayée par un réseau tentaculaire de propagande et d’endoctrinement qui s’exprimait sur toutes les tribunes imaginables, elle ne trouvait plus d’obstacle devant elle, particulièrement depuis la chute de l’URSS, et devenait naturellement force de loi. D’ailleurs, suite à la déconfiture des régimes communistes, Francis Fukuyama, ex-directeur adjoint de la cellule stratégique du département d’État américain, se permit même de prononcer la « fin de l’Histoire », car selon lui l’homme était parvenu au faîte de sa gloire; jamais il ne pourrait aspirer à plus serein bonheur qu’à celui de vivre dans une démocratie représentative gouvernée par le libéralisme; jamais il ne saurait imaginer perfection plus achevée que le règne sans partage du marché.
Lysander Spooner |
Aussi, une quantité phénoménale d’experts, de consultants, de spécialistes, de journalistes et de chefs d’entreprise se trouvait engagée avec zèle dans un tourbillon de prosélytisme hypnotisant qui engloutissait sous son passage toute tentative de contestation. Même les partis politiques dits de gauche, les syndicalistes et les universitaires de tout acabit cédaient à ce grand mouvement d’embrigadement de la pensée qui réclamait toujours moins d’État et plus de marché, plus de compétitivité. Et malheur à qui osait les contredire ! On ne daignait pas même l'écouter, rejetant aussitôt avec une autorité pesante toute argumentation qui osait prétendre désavouer l’avérée logique économique, moquant ce pauvre écervelé des injures suprêmes qu’on réservait aux impies : « irresponsable utopiste, stalinien borné, gauchiste irréaliste, soixante-huitard attardé, dangereux rêveur, passéiste frustré, dinosaure, etc. »
Et c’est pourquoi je décidai de faire un film non pas sur la mondialisation de l’économie – comme il y en avait déjà plusieurs – mais bien plutôt sur la mondialisation d’un système de pensée. Un film sur le contrôle des esprits, le lavage de cerveau, le conformisme idéologique; sur l’omniprésente irréfutabilité d’un nouveau monothéisme avec ses tables de lois, ses buissons ardents et ses veaux d’or.
Comme dans mon film précédent, c’est par la parole que je décidai d’exprimer cette révolte. Une parole forte, franche, rigoureuse, savante et libre de s’exprimer sur la durée pour aller au bout de ses idées. D’ailleurs, il était pour moi hors de question d’entraver cette parole ou de la conformer au moule télévisuel habituel en lui insufflant un dynamisme artificiel à travers un montage rapide, en lui donnant un air fallacieux d’objectivité ou en éludant les sujets complexes. Je ne voulais pas non plus utiliser trop de lubrifiant visuel, i.e. des images d’archives ou illustratives qui auraient compromis la cohésion du film et qui auraient teinté les interventions des participants du film. Je n’en fis usage que lorsque cela s’avérait absolument nécessaire. À mes yeux, il était primordial que la parole pénétrante et captivante de ces éminents penseurs puisse avoir toute la place à l’écran et que le public puisse se laisser aller, comme moi, à la fascination de l’écouter.
J’ai entrepris de développer une proposition cinématographique résolument singulière, tant au niveau de la forme que du contenu. Aussi, mon film procède-t-il de plusieurs partis-pris esthétiques. Par exemple, il est filmé en 16mm noir et blanc à une époque où on ne jure que par le numérique. Pourquoi ? D’abord tout simplement parce que je trouve ça beau. Ensuite parce que le noir et blanc semble conférer une sorte d’intemporalité au film. Et puis, je préfère m’astreindre à la discipline du film qui nous oblige à plus de concision et de précision. Car, vu les coûts, il faut tourner moins et s’assurer que l’essentiel est dit en 11 minutes (le temps d’une bobine).
D’autre part, l’utilisation de la voix off me rebutait. C’est pourquoi j’ai décidé d’utiliser plutôt des intertitres. Ceux-ci me permettent à la fois de structurer le film, de fournir des explications qui ne sont pas données par les intervenants, de prendre position personnellement et d’ouvrir la porte à un second niveau de sens, plus affectif, par la musique. Une musique qui, tout en étant riche et audacieuse ne gêne pas la lecture des textes.
Enfin, j’ai pris la décision de ne pas identifier les intervenants au cours du film, comme c’est devenu l’usage à la télévision. Plusieurs personnes me l’ont reproché, mais j’ai tenu tête car cet anonymat relatif concentre toute l’attention du spectateur sur les paroles et non pas sur les personnes.
Depuis que j’en ai eu l’idée, j’ai mis près de douze ans à terminer ce film. Il est vrai que je suis une personne plutôt dispersée, qui aime toucher à tout et s’impliquer dans toutes sortes de causes. Mais il est aussi vrai que j’aime prendre le temps d’évoluer avec une oeuvre afin de l’approfondir. Et ce qui est quand même fantastique, c’est que L’encerclement, douze ans plus tard, est plus que jamais brûlant d’actualité. La crise économique mondiale actuelle est le résultat direct des réformes néolibérales guidées par l’idéologie du libre marché, du laissez-faire. Mais, malheureusement, je ne crois pas qu’elle en sonne pour autant le glas. Le système monétaire et financier actuel, hérité de Nixon, n’est pas près d’être réformé et j’imagine mal qu’on revienne sur la pléthore de privatisations et de déréglementation qui ont eu lieu partout sur la planète. Au contraire, on continue de privatiser les entreprises rentables (tout en nationalisant celles qui font des pertes) et on continue d’appeler à davantage de libre-échange.
J’espère à tout le moins que mon film pourra contribuer, bien humblement, à remettre en question les fondements de cette idéologie néfaste et à la faire reculer.
Richard Brouillette
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Passionnant !
RépondreSupprimerDommage qu'il n'y est pas de sous titre français pour Chomsky, une version française n'existe t elle pas ?
Je réutiliserai sûrement toute la réflexion sur l'éducation dans des débats futurs !!
Les sous-titres pour Chomsky sont disponibles à cette adresse :
RépondreSupprimerhttp://www.opensubtitles.org/fr/subtitles/4167465/l-encerclement-la-democratie-dans-les-rets-du-neoliberalisme-fr
Have a nice day ;-)