15 juin 2011

LE PLEIN DE SUPER - Alain Cavalier (1976)

J'ai découvert le cinéma d'Alain Cavalier parce qu'un soleil insolent commençait à me taper sur le coque-pite et que j'étais pas d'humeur très légère, le contraste me soûlait donc un peu et c'est à ce moment là que je me suis engouffré dans une sale obscure parce que l'affiche associée au nom du film me causèrent d'un coup. J'ai pensé à un road movie qui me baladerait au delà de mes états d'âme et m'emmènerait hors de Panam au mois d'août... Commençons par le synopsis : En 1975, en France, deux amis se retrouvent à faire la route dans une spacieuse voiture américaine que l’un d’eux est chargé de convoyer. Ce dernier (Bernard Crombey) a un travail et une femme, et le vit comme une restriction assumée (au travail on perçoit vite la frustration de ne pas tout envoyer balader). Son ami et compagnon de voyage (Xavier Saint-Macary) se veut plus libre, mais garde une bonne situation. Après un arrêt à une station-service, deux autres hommes de leur âge débarquent inopinément dans le véhicule et s’y invitent. Le premier (Étienne Chicot) a abandonné travail et épouse, l’autre (Patrick Bouchitey) n’a vraisemblablement connu ni l’un ni l’autre…

J'ai été vite charmé par le film de Cavalier, on peut se contenter d'en faire l'éloge autour de soi  en grande partie pour le plaisir ressenti à suivre les quatre compères et l'évidente complicité qui s'instaure entre eux au fil des bornes et pendant tous ces instants partagés dans l'habitacle du break Chevrolet et ce, malgré la grosse incruste du début du film. On ne peut cependant pas oublier d'en constater la profonde noirceur. Les quatre personnages passent tous par des variations d'humeur (la farce laissant rapidement place au désespoir) et malgré leur solidarité, il reste difficile de ne pas constater le marasme dans lequel chacun d'entre eux se débat. Une des séquences finales caractérise parfaitement ce mal être - je fais ici un spoiler mais dans ce genre de film, peu importe que l'on vous ait dévoilé une anecdote parmi tant d'autres - Daniel (Patrick Bouchitey) s'est éloigné de ses amis et lorsque ceux-ci passent en bagnole sur un pont pour le récupérer, ils constatent que sa chemise est attachée à la rampe. Ils descendent de voiture et aperçoivent en contre-bas le corps de Daniel, apparemment écrasé sur les rochers. Ils l'appellent et se précipitent pour connaître son état. Daniel leur a en fait monté une ultime farce. La mise en scène ne plaît pas au groupe et l'on s'empresse de le lui faire savoir en lui administrant une raclée.  Cette séquence est caractéristique de la profondeur du film. Film thérapeutique pour Alain Cavalier, détruit quelques années plus tôt par une tragédie personnelle, Le plein de super ne nous décrit pas une époque d'insouciance mais souligne que l'unique moyen de sortir repose sur la solidarité du groupe. On comprend sans doute mieux pour quelle raison ce film, qui pourrait être caractérisé comme une œuvre de Gauche à l'époque giscardienne, déclenche l'engouement des cinéphiles, aujourd'hui englués comme l'ensemble des français dans un constant état de répression fomenté par un gouvernement de Droite. Le cinéma est politique avant tout, derrière les rires et les larmes. Ne pas louper et déguster la tirade d'anthologie de Klouk (Bernard Crombey) au proprio impatient du break qui téléphone de façon inopportune alors que Klouk est encore sous l'effet d'une gentille blagounette des potaches en "goguette"...


 

Le Plein de Super, réalisé avec très peu de moyens et selon un principe communautaire, où tout le monde est payé au même tarif, est un film de son temps, où les cabines sont à pièces, les autoroutes peu encombrées, les hommes moustachus et les pantalons à pattes d’éléphant, certes !...
Mais ce n’est pas le pittoresque qui intéresse Cavalier, ni la nostalgie qui a préconisé la reprise de ce film en salles. L’importance du Plein de Super dans le cinéma français des années 1970 est équivalente à celle de  Husbands  (1970) de John Cassavettes, dont il se rapproche par son évocation tendre mais déglinguée de quatre hommes à la croisée de leur vie. Le regard d’Alain Cavalier est un regard dégrisé. Au fur et à mesure que l’équipe progresse dans son Break lancé sur les routes d’une France rurale qui n’existe guère plus et qui autorise un regard facile et amusé chez le spectateur, et derrière une série de blagues d’une verdeur telle que le cinéma français ne se le permet plus aujourd’hui, Cavalier met en lumière toutes les failles et les faiblesses de ses personnages. Quand d’autres, à la même époque, forçaient le trait de la gauloiserie (Joël Seria, Bertrand Blier) ou se réfugiaient dans le naturalisme, Cavalier mettait à l’épreuve un style absolument singulier, fait d’une rudesse à peine atténuée par une virilité bien peu glorieuse, et qui a permis au film de garder toute sa modernité, mais aussi toute sa saveur.

Alain Cavalier débute comme assistant de Louis Malle, notamment pour Ascenseur sur l’échafaud. Il se fait connaître au début des années 60 par le film sur la guerre d’Algérie : Le Combat dans l’île (1961). Avec Le plein de super (1976), road-movie co-écrit avec les acteurs, Alain Cavalier se dirige progressivement vers un cinéma plus expérimental, entre le documentaire et la fiction. Le cinéaste confirme cette tendance avec Ce répondeur ne prend pas de message (1978), puis avec Thérèse en 1986. Le succès publique rencontre alors le succès critique. Il poursuit l’expérience avec La Rencontre (1996), où chaque plan, dans sa rigueur dépouillée, stimule l’imaginaire du spectateur. En témoigne Le filmeur (2004) qui se présente comme un journal intime filmé de 10 ans de vie. En 2009, Irène est sélectionné dans la catégorie "Un certain regard" pour le festival de Cannes, et en 2011, Pater fait parti des favoris de la sélection officielle et les critiques en ont fait des gorges chaudes confirmant une fois encore qu'ils ne font leur boulot que bien longtemps après le public qui paie ses places de ciné et qui souvent a déjà perçu tout l'intérêt d'une œuvre... sans en être passé par les fastes obscènes des célébrations bling-bling où l'on glose sur le sens de la vie, vu à travers le filtre d'une caméra, vautré au bord des piscines des palaces. J'dis ça, j'dis rien...

Sources :
DDL

En octobre 2009, Rebecca Manzoni recevait, dans son émission Eclectik, Alain Cavalier pour la sortie du film Irène... Un bon moment de radio en compagnie du cinéaste.



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